Longtemps pilier de l'économie et de l'identité nationales, l'agriculture marocaine, qui représente environ 13 à 14 % du produit intérieur brut et emploie près de 40 % de la population active, demeure la principale source de subsistance de plus de 60 % des habitants des campagnes, selon le ministère de l'économie (2019). D'après une analyse de l'institut Friedrich-Naumann-Stiftung, «la stabilité économique et sociale du pays demeure étroitement liée à la vitalité du monde rural», où prédominent de petites exploitations familiales cultivant moins de cinq hectares, souvent dépendantes de la pluie. Une vulnérabilité accrue face au climat L'étude observe que «le climat marocain évolue plus vite que la capacité d'adaptation du système agricole». Les températures moyennes ont augmenté de près de deux degrés depuis le début du XXe siècle, et les précipitations, de plus en plus imprévisibles, alternent entre inondations dévastatrices et sécheresses prolongées. Avec environ 60 % des terres cultivées reposant sur l'agriculture pluviale, cette instabilité météorologique engendre des conséquences sévères. «Le blé, denrée de base du pays, a vu sa production s'effondrer de 11,47 millions de tonnes en 2015 à 3,35 millions en 2016», indique le document. Chaque année de sécheresse pousse le Maroc à importer plus de céréales, au prix de «près de 20 % de ses recettes d'exportation, soit quatre fois la moyenne mondiale» (FAO, 2021). Pour la Fondation, cette dépendance croissante constitue «non seulement une charge économique, mais aussi une menace pour la sécurité alimentaire nationale». Les limites criardes du Plan Maroc Vert Lancé en 2008, le Plan Maroc Vert (PMV) reposait sur deux piliers : le premier consacré à «la promotion des grandes exploitations orientées vers le marché et l'irrigation», le second à «l'appui aux petits agriculteurs dans une optique dite de solidarité agricole». Selon la Friedrich-Naumann-Stiftung, «les résultats furent contrastés : la productivité et les exportations ont progressé, mais les gains ont surtout bénéficié aux grands domaines». L'analyse relève que l'accès aux subventions et aux équipements modernes «supposait des titres fonciers formels, un capital initial et une maîtrise technique dont les petits exploitants étaient souvent dépourvus». Ce déséquilibre a favorisé les exploitations les plus aisées, déjà mieux préparées à satisfaire les exigences administratives et financières. «Les petits paysans, confrontés à la fragmentation des terres et à des coûts prohibitifs, sont restés en marge des programmes publics et dépendants des emplois saisonniers ou des transferts familiaux», souligne le rapport. Les conclusions du rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l'alimentation (2015) confirment cette lecture : «La planification et le suivi ont été centralisés, sans réelle participation des organisations locales de paysans». La Fondation note que cette approche «a réduit l'appropriation régionale des politiques agricoles et négligé les savoirs traditionnels, pourtant précieux pour gérer la rareté hydrique». Dans plusieurs régions, notamment le Souss-Massa, la Fondation observe que «la conversion vers des cultures à forte consommation d'eau, telles que les agrumes et les avocats, a accentué la surexploitation des nappes phréatiques». Ce choix, motivé par des objectifs d'exportation, «a diversifié les recettes agricoles mais aggravé la vulnérabilité du pays aux marchés mondiaux et à la dépendance céréalière». Un modèle agricole à réinventer Pour la Friedrich-Naumann-Stiftung, «le paradoxe est manifeste : l'agriculture marocaine croît, mais sans équité». Les grandes exploitations tournées vers l'exportation prospèrent, tandis que «les petits agriculteurs, colonne vertébrale du Maroc rural, affrontent seuls l'intensification des aléas climatiques». Le texte insiste sur la portée culturelle de cet effritement : «L'agriculture familiale ne se réduit pas à une activité économique ; elle porte la mémoire, les traditions et les savoirs transmis de génération en génération». Son déclin menace «la continuité des communautés rurales et l'héritage vivant du pays». Réfutant l'idée que «le recul des petits exploitants serait inévitable avec l'industrialisation», l'analyse rappelle qu'«au Maroc, où l'agriculture emploie près de la moitié de la population active, leur abandon provoquerait une aggravation de la pauvreté, un exode rural massif et une précarisation urbaine accrue». Ces exploitations familiales jouent également «un rôle écologique essentiel dans la préservation de la biodiversité et la gestion des paysages». La Fondation conclut que «préserver et adapter les petites exploitations n'est pas un refus du progrès, mais une condition d'une transition juste et durable». Pour elle, «les champs du Maroc ne sont pas seulement des espaces de production : ils sont des lieux de mémoire, de continuité familiale et de résilience collective». L'avenir, estime-t-elle, «repose sur un modèle agricole équitable, soutenable et apte à concilier rendement et dignité humaine». Le choix que fera le pays déterminera, écrit la Friedrich-Naumann-Stiftung, «non seulement la sécurité alimentaire du Maroc, mais la préservation de son tissu rural et de son identité commune».