Les syndicats portuaires se rebiffent La tension qui chauffait, ces derniers temps, sur les môles alimente un bras de fer à l'issue incertaine entre pouvoirs publics et partenaires sociaux couvant une “explosion sociale” imminente. Les syndicats des cadres et travailleurs de l'ODEP viennent de rendre leur position officielle à l'issue de leur Assemblée générale : “Oui à la réforme, non à la loi”. Les tentatives du ministre Istiqlalien pour sauver un “consensus” plus qu'improbable semblent vouées à l'échec. La rupture est consommée. Les centrales CDT, UMT, UGTM, FDT et Commissions ouvrières représentant les ouvriers et les cadres de la quasi-totalité des ports du Royaume, se sont appliquées à mettre au point une stratégie de confrontation et préparent leurs troupes à une grève générale, le cas échéant. A l'initiative du Syndicat national UGTM des cadres supérieurs de l'ODEP et avec la participation solidaire de tous les autres syndicats, CDT, UMT, FDT et Commissions ouvrières, regroupant les différentes catégories du secteur portuaire national, l'hôtel Idou Anfa, dès la rupture du jeûne, a été le théâtre, ce lundi 8 novembre, de l'aboutissement d'un consensus général impliquant toutes les Centrales représentées, rendant un verdict catégorique d'opposition sur toute la ligne au projet de loi sur la réforme portuaire que veulent imposer les pouvoirs publics. “Nous rejetons en bloc ce projet de loi sur la réforme portuaire dans sa mouture actuelle et exigeons d'être associés en partenaires à part entière pour une véritable refonte du secteur consolidant les acquis des travailleurs et excluant toutes les tentatives de division des rangs et toutes les manœuvres visant à brader le patrimoine national”, tel est en substance le substrat de la décision arrêtée par les protagonistes sociaux. Une loi “inique” En fait, les griefs prononcés au passif des responsables institutionnels sont nombreux. Ils tiennent d'abord à l'exclusion “préméditée” des partenaires sociaux tenus à l'écart des négociations sur les préparatifs de la nouvelle loi qui se sont déroulés dans “le plus grand secret”. Un ostracisme qui a également fermé les portes de la concertation à l'ODEP, l'opérateur historique performant au double plan de ses résultats financiers et d'activité et, cela, personne ne peut le nier, acteur partenaire du nouveau dispositif des mutations en cours. Une loi jugée “inique” par les producteurs de richesses et garants de la pérennité du patrimoine de souveraineté maritime représentant une force stratégique d'avant-garde pour l'Etat, quand nombreux furent ceux qui ont relevé la contradiction flagrante entre le discours et la réalité. “Le discours officiel ne reflète nullement la teneur du projet législatif” qui privilégie arbitrairement une ANP (Agence nationale des ports) s'accaparant le plus clair des attributions de l'actuelle ODEP, cette dernière transformée en société anonyme se voit réservée la “portion congrue”, avec le flou en prime dans la définition de ses nouvelles prérogatives. Ainsi, les syndicats crient au scandale en se rendant à la raison que de telles manœuvres dissimulent le noir dessein de “liquidation pure et simple” de l'opérateur historique sous le couvert risqué du prétexte de démantèlement du monopole public dans le cadre de la libéralisation de l'exploitation et de la gestion de l'activité portuaire pour, soi-disant, promouvoir la concurrence. Incriminant sévèrement les “arrière-pensées” d'un “gouvernement qui veut céder au privé les richesses nationales en masquant derrière la litanie de la libéralisation tous azimuts son incapacité à gérer le portefeuille public pour le compte de l'Etat”. L'urgence d'une Conférence nationale Les protagonistes n'ont pas hésité à charger le ministère de l'Equipement et du Transport accusé de “chercher, par tous les moyens, à liquider dans la précipitation les richesses du patrimoine de souveraineté en libéralisant, à tous vents, tous les secteurs stratégiques que sont le fret routier, l'aérien, l'aéroportuaire, le maritime, le portuaire et le ferroviaire”. L'inquiétude est à son paroxysme car, ajoutent-ils, “nous nous acheminons tout droit vers l'inconnu” et les manœuvres des pouvoirs publics montrés à l'index pour gagner du temps en voulant coûte que coûte une “loi uniquement pour affaiblir l'ODEP”. L'on croit vraiment assister à une curieuse bagarre fratricide mettant en chiens de faïence un ministre istiqlalien, Karim Ghellab contraint d'en découdre avec un syndicat de même obédience, l'UGTM, ce dernier déclarant étant assurés du soutien du leader de la centrale, Abderrazak Afilal qui s'oppose au projet de loi et de la solidarité du chef du parti, Abbès El Fassi, sensible aux doléances de ses organisations de base. Le secteur du Transport et de l'Equipement est devenu une source de prolifération de toutes sortes de crises et de polémiques et conflits sociaux violents depuis les gouvernements Jettou I et II. La rupture brutale de communication et les agissements unilatéraux des pouvoirs publics ont échaudé les managers des entités nationales, plutôt bien portantes, qui sont scandalisées de se voir “exclues du jeu” et imposées une marche à suivre floue et contraignante qui les révoltent à juste titre. Toutes les dispositions éreintées dans le nouveau texte tiennent en ce résumé d'une situation qui se dégrade à grande vitesse : “loin de constituer un code des ports au sens large du terme, le projet de la loi de réforme portuaire se limite à prononcer la dissolution de l'ODEP et englobe des dispositions éparses sur les ports”. Aussi, les transferts des charges de l'administration vers l'agence sont opérés sans contrepartie et vont alourdir les coûts de transit dans les ports en altérant la compétitivité de l'économie nationale, tandis que la SODEP voit sa “liste d'attributions limitée et vaguement définie”. Tout comme la loi demeure (volontairement ?) muette sur les volets intéressant le remorquage, le pilotage, la police des ports, l'unicité des manutentions à quai et à bord... Le dépit atteint son comble quand les syndicats s'accordent à relever que “le modèle proposé par le projet de loi est identique à celui du temps de la RAPC. Il ne repose sur aucune expérience ou modèle international connu. Il constitue un retard de 20 ans en arrière”. Face à cette montée d'adrénaline dont les effets pourraient s'avérer dévastateurs, comment compte réagir Karim Ghellab pour stopper l'hémorragie ? Probablement que la sagesse conseillerait à celui-ci de tenir compte de la proposition des partenaires sociaux de convoquer une conférence nationale sur la réforme portuaire mobilisant les contributions des partis politiques, syndicats, société civile, ONG, opérateurs et institutionnels. Une mesure qui mériterait d'être suivie du moment que les ports représentent le patrimoine commun de la collectivité nationale.