Depuis des siècles, les agriculteurs marocains parviennent à cultiver le blé dur avec très peu d'eau, mais avec les sécheresses records des dernières années, il devient de plus en plus difficile d'en vivre, et beaucoup n'ont d'autre choix que de laisser leurs terres en jachère. « Nous préférons ne pas semer, c'est trop sec. » confie ainsi Ahmad Lbidd', un agriculteur du village de Sidi Abdellah El Bouchouari, niché au cœur de la région de Tiznit au Maroc. Pour soutenir les agriculteurs, il est nécessaire de déployer des variétés de graines améliorées, tolérantes à la sécheresse. Et c'est le cas de Jawahir, une nouvelle variété de blé dur marocaine très prometteuse. Issue de plus de dix ans de recherche et de tests chez les agriculteurs, elle est adaptée au climat et donne des résultats impressionnants dans des zones très arides au Maroc. Développée par les scientifiques de l'Institut National de la Recherche Agronomique du Maroc (INRA), et du Centre international de recherche agricole dans les zones arides (ICARDA) et inscrite au catalogue national des variétés en 2023, Jawahir a vu le jour dans le cadre du projet BOLD (Biodiversity for Opportunities, Livelihoods and Development) du Crop Trust. Un héritage millénaire pour nourrir l'avenir Développer une nouvelle variété demande beaucoup de temps et d'efforts. Dans le cadre du projet BOLD, l'ICARDA et l'INRA ont testé des centaines de variétés de blé dur issues d'espèces ancestrales sauvages dans leurs stations de recherche au Maroc. L'objectif étant de développer des nouvelles variétés qui disposent de caractéristiques qui ont permis à leurs ancêtres de survivre à des millénaires de conditions climatiques extrêmes. « Ces espèces sauvages, qui ont survécu à des millénaires de conditions climatiques extrêmes sans l'aide de l'Homme, renferment des traits essentiels pour créer des cultures résilientes capables de faire face aux pressions de la crise climatique actuelle », explique le Dr Benjamin Kilian, scientifique principal au Crop Trust. Testée auprès des agriculteurs dans une vision participative Depuis 2020, les variétés les plus prometteuses ont été remises aux agriculteurs pour une évaluation participative. Et les agriculteurs sont convaincus : Jawahir a prouvé une forte tolérance à la sécheresse, en garantissant des récoltes plus stables et plus abondantes. Ainsi durant la saison 2024-25, des agriculteurs des provinces d'Essaouira, Tiznit et Safi ont vu cette variété résister dans leurs champs, produisant souvent plus de 15 quintaux par hectare, contre moins de 10 quintaux pour les variétés plus anciennes cultivées dans les champs voisins. « L'ICARDA et l'INRA m'ont proposé de tester plusieurs variétés de blé dur, et la variété Jawahir a donné de très bons résultats face à la sécheresse. En seulement trois mois, les rendements sont très bons. La prochaine saison, nous allons continuer à planter Jawahir dans nos fermes pour accélérer sa multiplication, car ces graines ont besoin d'arriver rapidement sur le marché. » a ainsi déclaré Omar El Hroud, agriculteur dans la province d'Essaouira qui a testé Jawahir dans le cadre du projet BOLD. Le Dr Zaim, chercheuse de l'ICARDA discute avec un agriculteur de Had Draaà (Essaouira) des caractéristiques de Jawahir : un enracinement plus profond, des grains plus gros et une meilleure résistance aux ravageurs. Après la récolte, un agriculteur du village de Ait Moussa (Tiznit) montre l'avantage de rendement de Jawahir par rapport à une semence témoin. Prochaine étape : diffuser les graines à grande échelle Jawahir prouve que des solutions concrètes existent pour faire face au changement climatique et développer une agriculture résiliente. Le défi réside désormais dans la diffusion de ses semences à grande échelle auprès des agriculteurs, grâce au rôle crucial de la multiplication semencière. Conscient de l'importance d'apporter cette variété auprès des agriculteurs rapidement, le ministère de l'Agriculture du Maroc a d'ores et déjà accéléré le processus pour Jawahir en lui accordant une dérogation spéciale, permettant de démarrer plus rapidement la production initiale de semences. Et malgré les défis climatiques, l'INRA et ses partenaires publics et privés nationaux– la Société Nationale de Commercialisation des Semences (SONACOS), l'Association Marocaine des Multiplicateurs de Semences (AMMS) et la Fédération Nationale Interprofessionnelle des Semences (FNIS) – s'activent pour produire les semences plus rapidement, avec pour objectif d'atteindre une échelle commerciale d'ici à 2027, deux ans plus tôt que prévu. Cet élan s'inscrit par ailleurs dans la vision stratégique nationale marocaine Génération Green 2020–2030 qui souhaite le déploiement d'un programme ambitieux pour la multiplication et la diffusion de semences certifiées. « Nous avons réussi à développer une variété adaptée aux conditions très sèches, et nous l'avons fait avec les agriculteurs à nos côtés. Le défi désormais est de la diffuser à grande échelle. C'est ainsi que nous changerons réellement leur quotidien », déclare le Dr Filippo Bassi, scientifique principal à l'ICARDA et responsable du projet BOLD pour le blé dur. L'INRA et la SONACOS ont commencé la multiplication des semences de Jawahir, comme dans ce champs chez un multiplicateur agréé de Marchouch. Recherche, synergie et action : les clés pour une agriculture résiliente Jawahir marque ainsi une étape importante dans l'adaptation de l'agriculture marocaine face à l'accélération des défis climatiques et démontre que la recherche variétale est un levier clé pour renforcer la résilience agricole. Cependant, ce n'est qu'un début : pour que cette variété transforme durablement le paysage agricole, son déploiement rapide et à grande échelle est indispensable. Cette ambition pourra être atteinte grâce à une synergie forte entre les acteurs publics et privés, ainsi qu'une concertation participative avec les agriculteurs , garants de la pertinence et de l'adoption de ces nouvelles graines. C'est cette coopération dynamique qui permettra de bâtir une agriculture plus résistante, durable et tournée vers l'avenir. « Atteindre le stade commercial seulement quatre ans après la mise sur le marché serait un record pour nous, mais grâce au soutien de notre gouvernement et de tous nos partenaires semenciers, je suis convaincu que c'est possible », affirme Moha Ferrahi, directeur de la sélection végétale et des ressources génétiques à l'INRA.