La projection, le 17 mai, du film d'animation «Le parfum d'Irak» (2024) a provoqué une vague d'émotion palpable dans la salle de l'Institut français de Meknès. La 23e édition du Festival international du cinéma d'animation de Meknès (Ficam) bat son plein. Films, forums, ateliers et conférences, répartis dans la ville, attirent petits et grands dans une atmosphère joyeuse pour les uns, studieuse pour les autres, mais toujours avec une légèreté toute printanière. Le 16 mai, «Flow» a ouvert la programmation. Césarisé, oscarisé, «Flow» est un film à petit budget (au regard de l'industrie mondiale), réalisé à l'aide d'un moteur de jeu vidéo pour générer les images. Cependant, la caractéristique principale est que ce long-métrage animalier est sans paroles, puisque les animaux ne parlent pas. C'est donc par leurs gestes et attitudes que les personnages expriment leurs sentiments, dans un très poétique récit d'entraides et d'amitiés. Le 17 mai, la projection du film «Le parfum d'Irak» (2024) a provoqué une vague d'émotion palpable dans la salle de l'Institut français de Meknès. Le public était très bon enfant, reprenant même en chœur le spot publicitaire de la marque Aïcha, sponsor et co-organisatrice du festival, à travers sa fondation. «Le parfum d'Irak», cependant, revient sur un sujet grave, l'histoire contemporaine de l'Irak, en commençant par l'époque de sa guerre contre l'Iran. Souvenirs et pays fragmentés Construit à partir des souvenirs du journaliste franco-irakien Feurat Alani, le long-métrage nous introduit dans cette histoire par le regard d'un enfant étonné des réactions de son père devant les informations sur Saddam Hussein. Après la fin du conflit, le petit garçon va visiter le pays et sa famille, jusqu'alors inconnus de lui. Le réalisateur Léonard Cohen plonge le spectateur dans ces souvenirs d'enfance, par des bribes d'expériences sensorielles. C'est ainsi le parfum d'un sorbet qui donne son titre au film. Toutefois, tout n'est pas que sucreries, chaleur familiale et belles voitures américaines, découvre le tout jeune voyageur. La figure impressionnante du dictateur, en gigantesque totem qui voit tout, est bien plus qu'une figure rhétorique. Alani avait commencé à rédiger ses souvenirs sur les réseaux sociaux. Il en a tiré un livre et une web-série, puis ce long-métrage, avec Léonard Cohen. Cette dernière version lui a permis d'intégrer un hommage à son père, Amir Alani, après son décès. L'on découvre ainsi un cercle d'amis, longtemps opposants au régime, évoquant le disparu lors du quarantième jour commémorant son décès. Tous racontent, se disputant parfois, le destin brisé du pays, de l'invasion du Koweït à la naissance de Daech. L'organisation est née dans une prison, rappelle Feurat Alani, et a attiré beaucoup de baasistes purgés et désœuvrés par les autorités américaines. Celles-ci sont incapables d'apprendre la moindre chose du pays, s'exclame un jour Alani, devenu adulte et journaliste, en plein déjeuner dans la Zone verte. Il vit et couvre l'Irak occupé par les Américains. Il sait nous faire ressentir les nuances complexes d'un pays ravagé par les guerres, autant que sa surprise, lorsqu'il rentre en France, de voir des enfants de sa cité croire aux mensonges de Daech et rêver d'armes. Ligne claire et fraternité Un bon film documentaire est souvent le fruit d'un difficile équilibre entre le didactisme et l'émotion. À fortiori lorsqu'il est dessiné. Or, l'un des talents de Léonard Cohen est très certainement sa délicatesse et sa sensibilité pour rendre le monde de l'enfance face à la guerre. Cohen joue du minimalisme, utilise peu de traits, peu de détails même. Il a confié aux Inspirations ECO avoir voulu «faire des images avec des trous afin que le spectateur puisse se projeter dedans, inventer tout ce qui manque et reconstruire le souvenir». Il laisse ainsi l'imagination du spectateur créer ce que l'écran ne fait que suggérer. C'est en soi une leçon de cinéma. Autre caractéristique de ce travail, les yeux des personnages ne sont pas toujours dessinés. «Il y avait toute cette réflexion sur la mémoire sensorielle» dans le récit, a continué Cohen, qui l'a ainsi traduite à l'image : «pour moi, le jeu consistait beaucoup à faire ouvrir les yeux quand il a un regard, faire ouvrir la bouche quand il a un sourire, cadrer sur l'oreille quand on écoute quelque chose et lorsqu'on n'est pas dans cette perception active, les organes de perception ne sont pas apparents». Très apparents, en revanche, sont des clins d'œil et des références aux westerns et aux mangas, lors d'une partie de football. Cohen s'en explique avec un grand sourire : «Nous avons à peu près le même âge, avec Feurat. Nous avons donc grandi avec Dragon Ball, Olive et Tom, etc. Lors de cette scène de football, où il «est» l'équipe irakienne, il apparaît comme dans un manga de l'émission du Club Dorothée, de notre enfance. Il amène son imaginaire irakien dans ces références de petits garçons français qui regardent les dessins animés sur TF1». Un passage par le Japon qui, curieusement, permet de rapprocher l'Irak, la France et le public meknassi dans un moment de poignante fraternité. Murtada Calamy / Les Inspirations ECO