Dans un entretien d'une rare densité accordé au Figaro dans son édition du 13 novembre, le directeur général de la sécurité extérieure française (DGSE), Nicolas Lerner, a souligné l'importance du partenariat avec le Maroc dans la lutte antiterroriste, tout en évoquant la fragilité persistante du lien avec Alger. Derrière ces propos mesurés se dessine la carte mouvante du renseignement français sur un continent où le djihadisme demeure foisonnant. M. Lerner insiste sur la vigilance de la DGSE face aux circulations de combattants et de recrues potentiels à travers le continent africain. «Nous veillons à suivre ces déplacements aux côtés de nos partenaires du continent et notamment des services marocains, qui sont des partenaires très efficaces, précieux, essentiels en matière de lutte antiterroriste.» Cette coopération, confie-t-il, s'inscrit dans un travail constant d'échange et d'observation : «L'Afrique est bien toujours l'épicentre du djihadisme mondial», explique-t-il, rappelant que «l'essentiel des attaques se concentre désormais au Sahel, dans la région du lac Tchad, au Nigeria, dans les Grands Lacs et dans la Corne de l'Afrique». Selon lui, «les populations civiles en sont les premières victimes», tandis que «les groupes terroristes bénéficient d'une liberté d'action accrue sur une large part de la sous-région». Cette évolution, ajoute-t-il, «menace directement la stabilité des pays du Sahel et pèse à la frontière d'un certain nombre de pays amis et partenaires de la France». M. Lerner met en garde contre la reconstitution de sanctuaires : «Chaque fois qu'un groupe a pu s'installer, s'organiser, se sédentariser, cela a donné naissance à des projets d'exportation de la menace.» Il relève en outre «le départ de djihadistes maghrébins francophones vers la Somalie, où ils combattent aux côtés des chebab affiliés à al-Qaida.» Le canal algérien embrouillé Abordant la dégradation du dialogue sécuritaire entre Paris et Alger, le patron de la DGSE admet que «la coopération opérationnelle entre les services des deux pays a atteint son plus bas historique» au cours de la période récente. Pourtant, dit-il, «la vocation des services de renseignement est de maintenir un canal d'échange minimum quand tous les autres sont coupés.» Il précise avoir tenu ce lien au plus fort de la tension : «Nous nous sommes efforcés de préserver ce canal minimal avec les services algériens, y compris dans les moments les plus critiques. J'ai la faiblesse de penser que, si une menace terroriste visant la France avait été détectée, ils l'auraient signalée par ce canal.» M. Lerner estime en outre que «c'est l'intérêt national de deux pays de conserver des contacts en toutes circonstances, comme il est aussi dans leur intérêt sécuritaire de sortir de la crise.» Selon lui, certains signes témoignent d'une volonté algérienne de renouer le dialogue : «Le geste du président Tebboune envers Boualem Sansal, gracié et transféré en Allemagne, est l'un des plus significatifs.» La France, assure-t-il, «y est prête, sans que cela ne la conduise à renoncer à ses exigences cardinales, qui sont connues de tous.» Une menace mouvante et toujours élevée Dix ans après les attentats de Paris, Nicolas Lerner réaffirme que «l'histoire du terrorisme islamiste répond à des cycles» et qu'aucune accalmie ne saurait être tenue pour acquise. Les grandes attaques coordonnées depuis l'étranger se sont raréfiées, mais «la menace s'est déplacée» : elle est désormais «principalement endogène, portée soit par des réseaux activés, comme l'Etat islamique au Khorasan, soit par des individus inspirés, radicalisés en ligne.» Ces profils, souvent jeunes et fragiles, constituent «le cœur de la menace actuelle». Le patron de la DGSE précise que la France a considérablement accru ses moyens : «Plus de mille effectifs supplémentaires ont été recrutés, le budget du service a sensiblement augmenté et la coopération quotidienne entre la DGSI, la DGSE et le CNRLT atteint une fluidité inédite.» Vigilance élargie et diplomatie du renseignement Sur le plan international, M. Lerner observe que «la Syrie a officiellement rejoint la coalition internationale de lutte contre l'Etat islamique» et que «la France et la DGSE y contribuent au soutien des autorités syriennes dans leur mission de stabilisation.» Interrogé sur la Russie, il précise que «la France n'est pas en guerre contre le peuple russe, mais fait face à des opérations d'ingérence, cybernétiques et informationnelles, d'une intensité nouvelle.» Ces actions, avertit-il, «visent à fragmenter et à fragiliser notre société». Le dispositif Viginum, créé en 2021, «réalise un travail remarquable de détection et d'exposition publique de ces manœuvres».