Des chercheurs marocains et britanniques ont mené des fouilles, jusqu'en novembre 2025, dans une zone du site de Volubilis permettant d'exhumer de nouveaux éléments archéologiques. Dans le cadre du projet Walili II, ces trouvailles renseignent sur une période charnière et peu documentée qu'est la transition de l'empire maurétano-romain à l'islamisation, puis l'ère musulmane de la cité. «Walili II : Des Awrabas aux Mérinides» est le projet de recherche passionnant que mène une équipe de scientifiques marocains et britanniques, depuis 2018, sur une partie du site ancien de Volubilis. Sous la direction d'Asmae El Kacimi, maître de conférences et professeure d'archéologie islamique à l'Institut national d'archéologie et du patrimoine (INSAP) au Maroc et Corisande Fenwick, maître de conférences au University College London (Royaume-Uni), la mission a pu approfondir les fouilles, en octobre et novembre 2025. Les atrefacts mis au jour vont enrichir le projet de recherche en cours, en informant sur l'histoire de ce repère de l'empire maurétano-romain au Maroc durant la période islamique, du début de l'islamisation à partir du VIIe siècle, jusqu'au XIVe. L'objectif est de comprendre le développement de la cité, mais également sa transformation urbaine et culturelle, voire son impact sur le cours de l'évolution des principautés et des civilisations, s'étendant aux Mérinides (1244 – 1465) au XVe siècle. Ce processus constitue le prolongement d'un premier projet, Walili I, dirigé par les professeurs Hassan Limane (INSAP) et Elizabeth Fentress sur «Volubilis après Rome», achevé par la publication de la monographie éponyme. Dans ce sens, Asmae El Kacimi rappelle à Yabiladi qu'après ce travail de longue haleine, Walili II s'intéresse à la période ayant suivi celle maurétano-romaine. Il étudie la phase médiévale de la ville, marquée par la transition entre l'Empire romain et l'époque islamique. Maroc : Des découvertes sur la période maurétano-romaine exhumées pour la première fois [Interview] L'émergence de l'islamisation et des cités musulmanes Ce chantier scientifique et archéologique illustre «la continuité du projet antérieur, mené dans les années 2004 à 2006», avec des fouilles portées notamment sur la tribu amazighe des Awraba. «Les sources textuelles notent que celle-ci a reçu moulay Idriss Ier, à Volubilis. L'évolution de cette organisation sociale musulmane s'est développée ensuite jusqu'aux Mérinides, soit la dernière période médiévale», indique Pr El Kacimi, contactée par Yabiladi. Autant dire que Walili II s'intéresse à ce contexte en plusieurs phases, dont la plus récente est la fouille de deux grands secteurs extérieurs à l'enceinte romaine. «Le premier se trouve dans le quartier ouest. On y trouve a des niveaux d'habitats médiévaux, installés après la chute de l'empire romain», décrit la professeure. Le second est «la partie extra muros qui a connu l'évolution de la partie nécropole de l'époque antique et sur laquelle a été construit le quartier dit arabe». Selon la chercheuse, la fouille de ce secteur-là revêt une importance majeure, car elle comble les lacunes de travaux antérieurs. «Vers la fin du XXe siècle, des fouilles ont été menées par les français, mais elles restent mal documentées. On sait peu sur les opérations entreprises dans cette partie. Au milieu du quartier, il existe une grande collection d'inscriptions antiques. Mais faute de sources suffisantes, nous n'avons pas d'informations sur ce qui aurait été mis au jour», dit Pr El Kacimi. Maroc : Haut-lieu de la civilisation islamique, Tinmel n'a pas encore révélé tous ses secrets Ce que l'on sait est que ces fouilles-là ont permis de découvrir «une grande partie de trésors monétaires, de l'époque idrisside et pré-idrisside, qui sont actuellement au musée Bank Al-Maghrib». Pour la spécialiste, ce secteur représente l'un des quartiers centraux. «Nous y avons entrepris des fouilles pour mieux en connaître les composantes, comprendre le contexte et récupérer les niveaux anciens, en plus de 200 pièces de monnaies», nous explique-t-elle. Dans ce sens, Pr Asmae El Kacimi affirme que ces «monnaies de transition» remontent à une période charnière du virage de l'antiquité vers l'islam. Parmi elles figurent «des émissions de la ville de Tanger et une grande collection de l'époque idrisside». Cela renseigne considérablement sur l'organisation politique et sociale de l'époque, puisqu'on sait que la monnaie frappée est l'une des symboliques phares qui informent sur l'édification d'une dynastie, ou d'une entité que l'on qualifierait d'étatique, dans les temps actuels. «C'est d'ailleurs l'un des objectifs de ce projet, qui a vocation à proposer des pistes de compréhension de ce centre urbain local. L'existence de la tribu des Awrabas a précédé l'arrivée de moulay Idriss. Aussi, cet espace a probablement été le siège d'une garnison omeyyade ou abbasside. Sur place, nous avons d'ailleurs récupéré un grand nombre de monnaies omeyyades, fatimides et abbassides.» Pr Asmae El Kacimi - INSAP «Parallèlement au quartier de potiers, nous avons même découvert un atelier de fabrication des moules à flans monétaires, avec lesquelles on coule les pièces métalliques frappées pour servir de monnaies», nous révèle encore la chercheuse. Pour elle, tous ces éléments établissent l'existence de relations politiques et économiques entre les Awrabas et les grands pouvoirs méditerranéens de l'époque, arabes et musulmans. Documenter la première dynastie des chourafa au Maroc À travers l'analyse des fouilles, il sera ainsi question de «comprendre à la fois la naissance de cette ville islamique émergée de Volubilis et devenue une première capitale d'Idriss Ier, en plus d'en savoir davantage sur la première dynastie des chourafa au Maroc». En d'autres termes, il s'agit de se renseigner scientifiquement sur cette agglomération amazighe et sur la manière dont elle a été une fondation de la cité musulmane dans le pays. «Grâce aux travaux sur le quartier arabe, nous avons récupéré aussi des éléments qui nous éclairent sur l'organisation urbaine, comment en témoigne notre découverte de plusieurs ateliers, de métallurgie, de céramique et d'autres qui montrent une activité importante.» Pr Asmae El Kacimi Au niveau du quartier ouest, les archéologues ont par ailleurs découvert un pressoir à huile, qui remonte à la fin de la période romaine, outre une série de maisons médiévales datant du VIIIe au Xe siècles et un centre de production de céramique. «Il s'agit véritablement de découvertes qui nous aident à reconstituer les premiers siècles de l'islamisation à Volubilis et la transition opérée à ce moment-là», commente Pr El Kacimi. Maroc : Lixus, haut lieu des usines de salaison de la civilisation maurétano-romaine Dans ce contexte, l'idée est d'en savoir plus également sur les populations juives et chrétiennes qui ont adopté l'islam durant cette période. À ce titre, les fouilles revêtent un intérêt crucial pour une Histoire jusque-là peu documentée, s'agissant des changements de doctrine et de religion qui ont impacté les modes de vie dans la région. Pour l'heure, les équipes entament la phase de post-fouilles. Elles vont étudier le matériel mis au jour, travailler sur les collections, la céramique, l'ADN des restes d'animaux et d'autres analyses comparatives. Celles-ci renseigneront sur les éléments locaux et ceux importés, en aidant à préciser la chronologie.