Le chômage poursuit une lente décrue au niveau national, mais cette tendance contraste fortement avec la situation préoccupante de l'emploi en milieu rural. Les dernières données du Haut-Commissariat au Plan mettent en lumière une aggravation marquée des indicateurs ruraux, en contradiction avec les appels réitérés de S.M. le Roi Mohammed VI à corriger les déséquilibres territoriaux et à promouvoir un développement plus équitable du pays. La fracture territoriale du marché de l'emploi marocain s'accentue. Au deuxième trimestre 2025, le milieu rural a perdu à lui seul 107 000 postes de travail, selon l'Enquête nationale sur l'emploi publiée par le Haut-Commissariat au Plan (HCP). Alors que les zones urbaines enregistrent une progression de 113 000 emplois, les campagnes marocaines, elles, poursuivent leur déclin silencieux. En toile de fond : une sécheresse persistante qui continue de miner l'agriculture – pilier économique de vastes régions rurales – et l'absence d'un tissu productif diversifié capable d'absorber les chocs. Cette dégradation intervient à contretemps d'un moment politique solennel. Lors de son discours du 30 juillet 2025 à l'occasion de la Fête du Trône, célébrant son 26e anniversaire de règne, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a exprimé avec fermeté sa volonté de « mettre fin au Maroc à deux vitesses ». Une injonction claire, dirigée tant aux pouvoirs publics qu'aux opérateurs économiques, pour que l'aménagement du territoire cesse d'être une variable négligée des politiques de développement. Le rapport du HCP révèle une baisse de 1,3 point du taux d'emploi dans les zones rurales, passant de 44,8 % à 43,5 % en un an. Dans le même temps, le taux d'activité dans les campagnes chute de 1,6 point, reflet d'un découragement croissant et d'un repli sur l'inactivité. Les femmes en sont les premières victimes : leur taux d'activité en milieu rural est tombé à 18,8 %, contre 21,6 % l'an passé. Lire aussi : Diplômés au chômage : Quand les politiques publiques montrent leurs limites Plus alarmant encore, le sous-emploi touche désormais 12,4 % de la population active rurale, contre 11,6 % en 2024. Le nombre de travailleurs sous-employés dépasse les 512 000, avec une progression marquée du sous-emploi invisible, révélant l'inadéquation entre la formation et l'emploi exercé, ou une rémunération insuffisante. « Cette spirale négative illustre une vulnérabilité chronique de l'économie rurale, trop dépendante du cycle climatique et trop peu intégrée dans les chaînes de valeur nationales », analyse un ancien cadre du ministère de l'Agriculture. Le secteur agricole, qui emploie encore plus de 63 % des actifs ruraux, a perdu 108 000 postes sur un an, une hémorragie qui reste sans réponse systémique. Le paradoxe de la relance économique La progression globale de l'emploi urbain – soutenue par les BTP (+74 000 postes) et les services (+35 000) – pourrait laisser croire à une reprise économique inclusive. Mais le déséquilibre entre les territoires s'accentue. Le taux de chômage en milieu rural reste inférieur (6,2 %) à celui des villes (16,4 %), mais cette apparente performance masque une sortie massive des actifs du marché du travail. Moins d'actifs, moins de chômeurs : une équation trompeuse que le HCP ne manque pas de souligner. Ce repli rural contraste avec l'Engagement Royal renouvelé, qui réaffirme « la nécessité impérieuse de garantir une justice territoriale et sociale dans l'accès à l'emploi, à l'éducation, à la santé et aux infrastructures ». Le souverain a insisté sur la vocation des politiques publiques à réduire les écarts entre les Marocains, « qu'ils vivent dans les centres urbains ou dans les montagnes reculées, dans les villages enclavés ou les oasis marginalisées ». Vers un choc d'investissement rural ? La persistance d'un « Maroc périphérique » met en lumière l'insuffisance de projets économiques structurants dans les provinces rurales. Si les programmes de routes rurales (plus de 20 000 km construits entre 2000 et 2023, selon le HCP) ont amélioré l'accessibilité, ils n'ont pas entraîné un décollage économique comparable à celui des pôles urbains. L'absence d'écosystèmes industriels, le manque d'incubateurs agricoles modernes, la faible bancarisation et l'exode des jeunes diplômés aggravent encore l'isolement économique. Plusieurs chantiers sont pourtant annoncés dans le sillage du Nouveau modèle de développement : plateformes agricoles intégrées, centres de formation professionnelle rurale, zones industrielles de proximité. Mais leur réalisation reste lente, souvent tributaire de lourdeurs bureaucratiques ou de financements conditionnés. « L'avenir de l'économie marocaine ne peut pas continuer à s'appuyer uniquement sur les villes. Il faut une stratégie de réindustrialisation rurale adossée à l'innovation locale », plaide un économiste du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE). Pour lui, la hausse du chômage rural n'est pas conjoncturelle, elle est le symptôme d'un modèle de croissance non territorialisé. Face à ces fractures, le Discours Royal du 30 juillet 2025 sonne comme une mise en garde. « Notre pays ne pourra atteindre un développement durable que s'il mobilise toutes ses régions, dans un esprit d'équité, de cohésion et de solidarité nationale », a martelé S.M. le Roi Mohammed VI.